dimanche 4 décembre 2016

Tendre Marcel

Un de plus : Marcel Gottlieb, dit Gotlib a posé son crayon. Les dessins parus dans Pilote (Mâtin, quel journal!) puis Fluide glacial ont nourri plusieurs générations de lecteurs dans l'envie de l'iconoclasme : la sexualité se réveillait au grand jour, la religion était moquée sans contrainte. Les fondamentalismes religieux étaient planqués dans les placards poussiéreux. Ils n'auraient jamais dû en sortir...

Les quatre planches ci-dessous sont extraites de Rhââ lovely, t1 - "Le Bois-Huon", où un élu véreux voit apparaître l'enfant qu'il était quand il avait huit ans...

































vendredi 2 décembre 2016

Ousmane Sow : un art dernier

Passant il y a quelques années à Saint-Germain, à Paris, à l'époque où les crétins célébraient la construction d'un musée des arts premiers, expression tellement imbécile que même Catherine Clément l'avait reprise, tant le milieu parisien est sensible aux effets de mode, j'avais vu une magnifique sculpture d'Ousmane Sow dans une galerie portant ce joli nom : Aux arts derniers. On est sans doute davantage dans une réflexion sur ce que deviennent les arts dans cette fin de civilisation (et le début d'une nouvelle, évidemment).

L'art d'Ousmane Sow n'est évidemment en rien semblable à ce que produit ce marché épouvantable de l'art africain (c'est le marché qui est épouvantable, pas l'art !) qui recycle de manière improbable des tonnes de produits sans rien percevoir de ce que sont les sociétés qui les produisent. Je crois avoir passé dans Véhèmes des extraits du film de Jean Rouch Les maîtres fous tourné au Ghana et sorti en 1955. Qu'on regarde avec attention ce film. On comprendra que la notion d'art premier n'est pas plus vraisemblable que du beurre en branche. 
L'expression « arts premiers » fut inventée par Jacques Kerchache pour faire croire que le rapport aux arts des pays dominés pouvait être sublimé par l'esthétique occidentale, oubliant le terme « arts primitifs » qui avait prévalu jusque là. Il trouva un autre immense malhonnête, Jacques Chirac, qui lui-même demanda à un architecte d'un grand talent commercial, Jean Nouvel, de réaliser un musée. Ce fut le désastre du Musée du Quai Branly, rebaptisé récemment Musée du Quai Branly-Jacques Chirac. Ce nom est encore plus désastreux. Il m'évoque toujours cette contrepèterie : ils habitaient des gîtes ignobles Quai Branly. Ça ne mérite pas plus. On laissera s'empoussiérer les statuettes d'art africain dans des réserves vitrées, oubliant définitivement dans quel contexte elles furent produites. Au mieux, il faudra relire L'Afrique fantôme de Michel Leiris qui narre, très subjectivement, les circonstances dans lesquelles l'expédition « Dakar-Djibouti» s'est déroulée dans les années de pleine colonisation française et occidentale, et les relations calamiteuses entretenues par les blancs envers les Africains.

Mais laissons ce pauvre musée s'enfoncer dans la médiocrité et prendre, l'un de ces jours, l'eau de la Seine. Ousmane Sow est parti hier, comme tant d'autres témoins de son siècle. J'en retiens dans l'oeuvre ci-dessous ce qui caractérisa les relations entre le monde noir et le monde blanc depuis si longtemps. La lutte n'est malheureusement pas achevée, et je ne crois pas que notre époque assistera à la fin du combat. Il faut seulement se rappeler qu'au-delà des génocides, des maladies, de l'esclavage ancien ou moderne, l'Afrique lève le nez et les yeux. Dans ce combat que rappelle Ousmane Sow, il reste encore un choix à faire : celui du camp de l'Homme.

© Ousmane Sow, Couple de lutteurs corps à corps -1996

dimanche 20 novembre 2016

La pietà Rondanini di Milano

Michel-Ange - Michelangelo Buonarroti décède le 18 février 1564. A sa mort reste dans son atelier, inachevée, une pietà de marbre, représentant de manière originale le Christ et Marie, debout, unis presque l'un contre l'autre, semblant à peine dégagés du marbre. C'est le serviteur de Michelangelo qui hérite cette œuvre, mais on en perd rapidement la trace. Elle est mentionnée en 1807 dans la collection du Marquis Rondanini, au Palazzo Rondanini, à Rome. Achetée par la Ville de Milan en 1952, elle se trouve depuis au Castello Sforzesco dont elle est l'un des joyaux.

Son histoire est mystérieuse au sens où Michel-Ange a travaillé deux versions de cette pietà, et son élaboration aura duré une quinzaine d'années : commencée en 1550, elle n'est pas achevée lorsque l'artiste meurt. La durée du travail interroge : pourquoi tant de temps pour un artiste rompu à la sculpture ? S'agit-il d'une crise mystique qui l'incite à rompre avec les conventions, présentant le Christ et sa mère debout et non dans la position conventionnelle comme la Pietà vaticana de Rome ? Évidemment, peu de réponses possibles. L'œuvre inachevée ne laisse que la réflexion sur les possibles qui demeurent. Et cependant, le sentiment se dégage qu'en l'état, elle apparaît comme si la seule intention de Michelangelo restait encore visible dans l'émergence des formes de ce marbre, avec les parties en cours d'achèvement, celles qui sont restées dans la forme brute du marbre. On se rappelle ce conte de l'enfant et du sculpteur qui taille un cheval dans une masse de pierre. La statue n'est pas encore achevée mais déjà on voit l'animal qui se dégage de la pierre. L'enfant demande alors au sculpteur comment il avait compris qu'il y avait un cheval dans la pierre qu'il lui fallait laisser sortir de sa gangue.

C'est un peu la même chose ici : jusqu'au bras droit du Christ qui est brisé. Pour la Pietà Bandini que Michelangelo prévoyait pour son tombeau, c'est la jambe gauche du Christ qui a été brisée et qui a disparu. Le disciple et ami de Michelangelo, Teberio Calcagni, empêcha son maître de détruire la statue et la termina, déguisant l'absence de jambe gauche par un drapé de la robe de Marie.

Pietà Rondanini - Milano
Évidemment, Michelangelo n'avait pas souhaité que cette pietà nous parvienne sous cette forme. Le hasard a ses exigences : aujourd'hui, où la réflexion de l'art porte également sur la nature de la matière, sur les relations étroites qu'entretient l'artiste avec elle, comme une sorte parfois de complicité, avec les traîtrises qu'elle peut exercer par un coup mal porté, il m'apparaît que cette œuvre, dans sa traversée des siècles atteint chaque regard par son expression d'une forme pure; elle explose d'un matériau des plus nobles, le marbre blanc, pour rappeler que si on peut en tracer l'histoire, Michelangelo a réussi à en abolir le temps. La Pietà Rondanini n'en finit pas de raconter comment cette mort n'a pas été en mesure de terrasser la vie qui se redresse, peut-être maladroitement, mais émerge dans cette relation de deux êtres indéfiniment liés, au-delà de la vie et de la mort. Peut-être une expression de l'amour universel.

La Pietà Bandini - 1547-1555, Museo dell'Opera del Duomo - Firenze



jeudi 6 octobre 2016

Le joueur de luth

L'un des trois exemplaires peints par Michelangelo Merisi, le camarade Caravaggio. Celui de la collection Wildenstein est estimé à 27 millions d'euros.  Une paille.  Je trouve ça même un tantinet vulgaire.

mercredi 5 octobre 2016

Autoritratto di Giorgio de Chirico

La Galleria nazionale d'arte moderna e contemporanea (GNAM, Viale delle Belle Arti, 131 - 00 197 Roma), l'une des belles collections d'art moderne et contemporain d'Italie, est située à la villa Borghese, sur l'une des hauteurs de Rome.
Je présenterai quelques œuvres qui y sont exposées.

Ce jour Chirico, dont une des expositions majeures fut présentée au Musée d'art moderne de Paris en 2009.

Giorgio de Chirico - Autoritratto con testa di Minerva - 1958

C'est à tort, et par défaut, qu'on présente Giorgio de Chirico comme un précurseur du surréalisme. En fait si sa peinture y est apparentée, son travail repose davantage sur une recherche "métaphysique" dans laquelle il s'interroge sur le réel et sur le sens de l'énigme que pose l'image dans son rapport au passé, que l'obsession du présent explore de manière permanente.
La période classique est pour lui récurrente, à la fois comme référence absolue et comme dérision où il se prend lui-même souvent comme objet.

Dans l'autoportrait avec la tête de Minerve, il se peint en costume du XVIIe siècle.  Cette oeuvre appartient à une période tardive considérée comme "néo-métaphysique" où sa relative solitude de peintre semble rejouer indéfiniment, avec un jeu de combinatoires, des éléments de l'histoire de la peinture, de l'art classique, tout cela inscrit dans une modernité qui fait exploser l'ensemble des références, comme si le thème de l'énigme restait, au delà de toutes les périodes et de tous les courants de peinture successifs, la seule question qui vaille d'être posée.

vendredi 22 juillet 2016

Marwane Pallas

Marwane Pallas est un photographe étonnant. Il compose avec son univers un ensemble de scènes qui interrogent son propre corps, et forcément, celui des autres. On touche là un des mystères de l'acte créatif : comment intègre-t-on les travaux des artistes qui ont apporté, en leur temps, une innovation, et comment digère-t-on leur travail avec un apport personnel qui est ce grain de folie permettant d'entrer dans de nouvelles dispositions, de donner libre cours à une espèce de langage de l'image suffisamment précis pour arriver à construire un, un énoncé personnel de la vision que l'on a de l'esthétique ?

Dans cette vidéo datée d'il y a cinq ans, Marwane Pallas donne quelques explications de son travail et de son inspiration. La technique, maîtrisée, n'est pas pour grand chose dans ce qu'il produit tant s'impose son propre regard. Je trouve son travail actuel très en prise avec la réalité d'aujourd'hui dont la poésie, n'est, fort heureusement pas exclue.
Son site personnel se trouve ici : clic


lundi 11 juillet 2016

Saint Sébastien - 14

Je reprends sur Epissures la série des saint Sébastien commencée sur Véhèmes. Les deux blogs me permettent de répartir différemment les billets, et je consacre, en fait, davantage de billets d'humeurs sur Véhèmes. Epissures restera alors un lieu de réflexion sur les arts visuels et sur le patrimoine culturel.

Le billet présent est consacré au saint Sébastien de Marcantonio Bassetti (né et mort à Vérone, 1586-1630). Il s'agit d'un Sébastien soigné par Irène, et peint autour des années 1625-1626. On se rappelle l'histoire : Sébastien ne meurt pas des nombreuses flèches que les archers lui envoient, et il est soigné par Irène qui oint ses plaies et le guérit. Je rappelle encore que l'imaginaire lié à Sébastien, dès lors qu'on le replace dans un contexte dans lequel la période de la Renaissance a permis de retrouver les canons esthétiques de l'Antiquité – du moins le croit-on – permet de faire de lui un substitut d'Eros. Là ce n'est pas lui qui décoche ses flèches, mais lui qui les reçoit, et ce processus inversé est tout indiqué pour faire de lui une icône de l'imaginaire gay.


Marcantonio Bassetti, Saint Sébastien soigné par Irène - ca 1625-1626
Mais ce qui est le plus intéressant est souvent non ce que Sébastien représente par lui-même, mais ce qu'il permet de découvrir autour de lui que sa présence révèle.
Dans cette représentation qui se situe en pleine production de la peinture italienne à la toute fin de la Renaissance, l'utilisation du clair-obscur s'est généralisée. Il permet, par définition de mettre en lumière certains aspects d'un sujet, et, par contraste, de mettre dans l'ombre certains aspects, comme pour souligner la tenue d'un discours, d'un énoncé sur une histoire biblique, ou religieuse.

Ici, curieusement, Marcantonio Bassetti, qui a fait le choix de montrer Sébastien après le supplice, l'efface presque : on ne voit quasiment rien de son visage, majoritairement dans l'ombre. Il reste une flèche, plantée dans la cuisse droite pour témoigner de l'identité du personnage. S'agit-il alors de magnifier Irène, représentante d'une féminité de jeune fille et à même de donner le sens du désir érotique à ce tableau ? Pas vraiment : si Irène paraît encore jeune, elle est davantage l'image d'une matrone que la figure d'une jeune fille vers qui le désir amoureux pourrait se reporter.

Alors ? Regardons la lumière : toute la clarté du tableau  provient d'une lumière en hauteur et située sur la gauche, éclairant le ventre, le torse et les cuisses de Sébastien. Un linge est pudiquement replié sur son sexe, et Irène ne songe qu'à laver les plaies que l'on ne distingue pas seulement. Le corps allongé de Sébastien se pose ainsi davantage en attente, une attente qui est celle de la sortie de la douleur, mais peut-être davantage celle, alanguie, d'un amant dont Irène se fait alors un simple témoin.

Vérifiant également la ligne de fuite diagonale qui part de la gauche avec le bras droit de Sébastien replié sur l'arrière, on suit la partie gauche du visage de Sébastien, son torse, son ventre, le linge replié sur son sexe et enfin la flèche qui donne l'indication de l'interprétation de cette composition.

Se vérifie ainsi que la plupart des représentations de saint Sébastien ne sont pas seulement des illustrations de l'histoire hagiographique du catholicisme, mais un détournement d'une érotique indicible qui utilise à plein les codes de la composition de l'image, se délecte de ce jeu de lumière pour donner le haut sens d'une érotique du corps masculin sans doute plus difficile à exprimer dans une période où la modernité essaie de se dire quand l'Eglise catholique tente, elle, de resserrer son étau sur les pensées et les corps.

lundi 4 juillet 2016

Aloïse Corbaz

Aloïse Corbaz fut une artiste impressionnante par l'ampleur de sa production imaginaire : touchée encore jeune par la schizophrénie, elle s'attacha à dessiner, le plus souvent avec des crayons de couleur, les personnages qui peuplaient son esprit. Princes et princesses réinventés dans l'arrière-plan d'une période troublée, elle peint pour exprimer ce en quoi ses images mentales sont faites : redonner du sens à une vie qui n'en a plus, mettre de la couleur dans un monde vert-de-gris, et dire toute la place qu'à le regard par lequel elle reconstruit son monde. D'immenses yeux bleus sans iris dont la pupille a débordé sa place inondent le visage, recréant d'une autre manière le regard de ses personnages dans une irréalité encore plus forte que celle des véritables acteurs du monde atroce en train de jouer ses propres tragédies pendant la Première Guerre mondiale.

Aloïse est décédée à l'asile d'aliénés de la Rosière à Gimel, en Suisse en 1964. Elle a eu le temps de voir son travail reconnu et encouragé par quelques médecins remarquables, et, alors qu'en France on méprise ce que Jean Dubuffet appelle l'« art brut », la Suisse – la ville de Lausanne – accueille les « Collections d'art brut » parmi lesquelles viennent s'insérer celles d'Aloïse Corbaz. On ne peut décemment pas se permettre de visiter le moindre musée de peinture, où qu'il se trouve, sans avoir en mémoire les images que « l'art des fous » propose en opposition à ce que le monde conventionnel a lentement et savamment établi dans une construction de l'art bourgeois. Cette dialectique des esthétiques opposées est à même de nourrir longtemps une profonde réflexion sur l'usage de l'art dans nos sociétés.

La vie d'Aloïse est racontée dans un film, Aloïse, sorti en 1975 et réalisé par Liliane de Kermadec, écrit par Liliane de Kermadec et André Téchiné. Dans le rôle titre, deux actrices se succèdent pour redonner vie à Aloïse Corbaz, Isabelle Huppert et Delphine Seyrig.
 

dimanche 5 juin 2016

Ο βασιλεύς - le roi

Le terme grec de βασιλεύς (vassileous) signifie  le « roi », le « chef », celui qui dirige. Je voudrais ici comparer deux images : celle d'une statue du Musée national d'archéologie d'Athènes, et une case de bande dessinée.

La première image est celle de la célèbre statue trouvée en 1926 et 1928 dans la mer du Cap Artemision, au nord de l'île d'Eubée, qui représente soit Poséidon tenant de la main droite un trident aujourd'hui disparu, soit Zeus, qui lancerait de la même main ses foudres contre un ennemi non identifié.


La sculpture est un exemple même du style classique, datée ca 460 BC. Imposante par sa taille, il s'agit d'un chef d’œuvre, montrant, une fois de plus, la maîtrise de la technique du bronze : la statue mesure un peu plus de 2 mètres.

Ce qu'on sait moins, c'est qu'elle a servi de modèle au dessinateur belge Edgar P. Jacobs pour le personnage du Basileus dans l'aventure de Blake et Mortimer L'Atlantide. On connaît la rigueur de documentation de l’École belge de bande dessinée, qui prenait des références précises pour construire décors, personnages etc. et pour lesquels la référence à l'Antiquité restait une source de première importance.

Voici ce que Zeus (ou Poséidon, mais l'attitude est davantage celle de Zeus) est devenu dans l'imaginaire d'Edgar P. Jacobs : le roi régnant d'une Atlantide souterraine, conservant l'attitude sage d'un souverain soucieux des intérêts de son peuple. Il a notamment repris du classicisme les traits fins et réguliers, le nez droit, et, attributs de la puissance et de la sagesse, la barbe des dieux de l'Olympe.


mardi 24 mai 2016

Andrea Mantegna - Cristo morto

Peu de commentaires à faire sur ce Cristo morto appelé encore Lamento sul Cristo morto, tant la force de l'artiste s'exerce là: une sorte d'expressionnisme, qui se joue avec la perspective et la vue en plongée. Le Christ ici n'a pas de visage, puisqu'il est vu sous l'angle de la plongée : il n'est plus qu'un menton, une mâchoire, un semblant de visage aux traits fatigués, car il n'exprime pas la mort, mais le sommeil. Seules les femmes – Marie, vraisemblablement à gauche, et Jean l'Apôtre, dont le visage est seulement esquissé, indiquent, par leurs pleurs, la mort de Jésus. Peinture a tempera (peinture à l'eau) d'une immense audace, Andrea Mantegna se permet un déplacement du regard. La plongée s'oppose à la contre-plongée habituelle, où le Christ, même mort, domine les spectateurs depuis sa croix.Les couleurs sont intrigantes : ont-elles passé avec le temps, ou bien Mantegna a-t-il choisi délibérément une teinte monochrome qu'il décline, jouant sur les ombres, le détail du linceul, comme si plusieurs centaines d'années auparavant, il avait inventé la photographie en couleur sépia.
Le corps apparaît ainsi écrasé, fait tout de chair dont l'esprit est appelé à triompher, et le réalisme des plaies sur les mains et les pieds renforcent encore cette idée d'un corps de souffrance abandonné là sur ce lit. Au-delà du corps, tout son soin de peintre est apporté à la réalisation du drapé qui évoque l'antique dont les peintres de la Renaissance italienne s'inspirent pour assurer encore davantage la majesté des corps, et de l'expression en général. Il n'est jusqu'au détail du tissage de l'oreiller qui renvoie encore le sentiment de relief et de profondeur qui accentue ce jeu de perspective.
On hésite à penser que Mantegna a pu utiliser des corps réels comme modèles, mais on sait que Leonardo da Vinci l'a fait, lui qui lui est contemporain et seulement un peu plus jeune.
Il Cristo morto est une peinture rare, qui joue avec les conventions pour exprimer encore plus fortement la réalité de la souffrance de l'homme mort et de ceux qui le pleurent, délaissant tous les symboles iconographiques utilisés dans les périodes antérieures pour se rapprocher  de la réalité du corps supplicié.

Andrea Mantegna - Cristo morto  - 1480
La peinture est visible à la Pinacoteca di Brera de Milan.

vendredi 13 mai 2016

samedi 30 avril 2016

Hans Holbein - Les ambassadeurs

Hans Holbein le Jeune - Les ambassadeurs - 1533

Le principe de l'anamorphose est un jeu ancien de la représentation du réel par une image faussée : il s'ensuit que l'on ne peut regarder ce réel qu'en adoptant une perspective singulière qui permet de retrouver les proportions originales du sujet que l'on regarde. Dans ce très célèbre tableau d'Holbein, visible à la National Gallery de Londres, l'anamorphose s'applique en particulier à la vanité qui est le sujet complémentaire du tableau : il faut d'abord considérer le commanditaire, Jean de Dinteville, bailly de Troyes, ambassadeur de France à Londres qui est représenté à gauche. Le personnage situé à droite est Georges de Selve, également diplomate. Les deux hommes ont en commun le goût des humanités, représentées ici par les instruments du savoir : mappemondes, astrolabes, livres et la présence du luth rappelle que la musique joue également un rôle très important. Et cependant, le crâne représenté anamorphosé vient rappeler que la haute position sociale des deux hommes, leur immense savoir que cette période de la Renaissance ouvre à nouveau à l'humanité ne débouchera que sur la seule issue commune à tous les hommes. C'est ainsi un rappel à l'humilité autant que l'apologie de la connaissance, intriquant indéfectiblement les deux systèmes de vertus : il ne sert à rien d'avoir la connaissance comme moyen de promotion sociale si l'on ne sait, en même temps que tout cela ne peut être qu'éphémère, et qu'à ce titre, cette connaissance doit être utilisée à bon escient.
Ainsi, si l'on veut regarder le crâne de manière à retrouver ses justes proportions, il faut se situer à gauche ou à droite du tableau ; autre façon de signifier que l'on ne peut vraiment regarder la mort de face...

mercredi 20 avril 2016

dimanche 10 avril 2016

Neige nippone

Werner Bischof (1916 - 1954) 'Courtyard of the Meiji shrine' Tokyo, Japan 1951
Werner Bischof (1916 - 1954)
Courtyard of the Meiji shrine
Tokyo, Japan, 1951
© Werner Bischof/Magnum Photos
Via Art Blart

dimanche 3 avril 2016

jeudi 31 mars 2016

lundi 28 mars 2016

Chapman brothers

Chapman family collection - 2002 (détail)
Jake et Dinos Chapman s'inscrivent dans cet art de l'iconoclasme, exploré autrefois par les surréalistes, aujourd'hui largement noyé dans le travail de nombreux artistes contemporains. Leur travail est efficace : il allie l'humour à la provocation, utilisant les thèmes de la guerre, du sexe, de la consommation comme culture de masse. On y retrouve les influences de Salvador Dalí, Hans Bellmer, et quelques autres en situant leur esthétique dans un cadre facilement identifiable pour le commun des visiteurs, ce qui accentue encore davantage l'effet d'iconoclasme
Ici, dans une exposition présentée à la Tate Britain en 2013, il s'agissait de fondre les images de la junk food représentée par Mac Donald's dans l'esthétique précise d'un art africain traditionnel unanimement reconnu comme «authentique» par la doxa, même si, la plupart du temps, les codes des masques africains échappent à la plupart des amateurs d'art : absence généralement de datation des périodes, des ethnies, et peu importe, puisque ce n'est pas l'art des Africains que l'on a envie de voir, mais l'art que l'on se représente comme étant celui des Africains.
Ici, le message est clair : le télescopage entre le fameux bun rond dégoulinant d'une feuille de fromage industriel dans un pain transformé en masque renvoie directement à cette confrontation entre deux mondes, deux systèmes culturels sans aucun point commun possible, que l'esthétique singulière des formes du masque rend redoutablement efficace.

vendredi 11 mars 2016

Louis Janmot - Autoportrait

Combien étrange est cet autoportrait de Louis Janmot dont la précision et la volonté d'hyperréalisme annonce déjà d'autres grands courants de ce XIXe siècle. Elève d'Ingres, il est aussi influencé par Hippolyte Flandrin, dont Le jeune homme nu assis au bord de la mer, peint à Rome en 1836, eut le succès qu'on lui connaît encore, influençant au XXe siècle les photographes.
Ici, Louis Janmot, dont la peinture est marquée plus tard par une prégnance importante du catholicisme, se portraitise lui-même avec cette espèce d'autofascination pour un visage jeune dans lequel il se cherche – il a alors dix-huit ans–, et si les traits masculins sont décelables, il donne également à voir certains traits encore féminins, recherche, peut-être d'une identité d'homme avant celle de peintre, qui lui est également indéfectiblement liée : sa palette, outre la convention d'autoportrait à la palette des peintres, est une protection autant qu'un emblème qu'il tient comme une jeune femme tiendrait un éventail, et il nous indique qu'il est gaucher ! Belle œuvre dont on peut déceler un aspect un peu provocateur...


Louis Janmot - Autoportrait à la palette - 1832





Hippolyte Flandrin - Jeune homme nu assis au bord de la mer - 1836
Le Musée de Beaux-Arts de Lyon donne à voir l'exposition «Autoportraits. De Rembrandt au selfie» du 25 mars au 26 juin 2016.

samedi 5 mars 2016

Sir John Soane's house in London

La maison de John Soane à Londres est un lieu à ne pas éviter lorsqu'on s'intéresse à ce Londres du XIXe siècle encore terriblement présent, et qui fait cette caractéristique de la ville, intégrant des périodes très différentes, les mélangeant comme dans une recette de magie qui fait qu'on ne s'étonne d'aucun imaginaire britannique, qu'il soit celui de Lewis Caroll, de James Barrie, ou aujourd'hui de Joanne Rowling. 

Il y a de cela dans la maison de Sir John Soane, esprit éclairé qui fut architecte, franc-maçon dans cette fin du XVIIIe siècle, qui se passionna pour, Pompéi, Venise, et donna ce relief particulier d'un regard fasciné par l'Italie lorsque les brumes londoniennes incitaient les Britanniques fortunés à explorer la Méditerranée. Il en rapporta des antiquités égyptiennes, romaines, etc. et en garnit sa maison comme un cocon douillet farci de ce pouvoir de l'image, rassemblant, en plein centre de Londres et en ce lieu unique, le moyen de relier l'Italie à ce lieu incontournable qu'était déjà Londres alors, place de départ et de retour pour apprécier et conquérir le monde.




Thomas Lawrence - Portrait of John Soane - 1829


mardi 1 mars 2016

Le petit pêcheur

Où l'on s'étonne du «réalisme magique» d'Augustin Rouart, cette capacité à saisir la réalité d'une situation dans laquelle s'exprime d'abord la tendresse, puis à sublimer tous ses éléments dans une nouvelle dimension, onirique, aux perspectives faussées, pour jouer avec les rapports du près et du lointain, des bleus devenus si tendres de la mer, du ciel, des nuages, de la côte prêts à tous se confondre...

Augustin Rouart - Le petit pêcheur - 1943  - © photo Christian Baraja

dimanche 28 février 2016

Scholl - Vivaldi


Antonio Vivaldi - Stabat Mater (RV 621) - Andreas Scholl, Ensemble 415
dix-huit minutes et quarante sept secondes de pur bonheur.

mercredi 24 février 2016

lundi 22 février 2016

Le père et sa fille

La séparation de ceux avec qui on a entretenu un lien d'une immense force reste toujours une incompréhension, jamais compensée. On invente, un jour, d'improbables retrouvailles...




Father and Daughter est un court métrage d'animation réalisé par Michaël Dudok De Wit et sorti en 2000. Il a remporté l'Oscar du meilleur court métrage d'animation l'année de sa sortie.


dimanche 21 février 2016

vendredi 19 février 2016

Gustave Courbet - Le sculpteur

Dans cette peinture, Gustave Courbet joue une fois de plus avec lui-même puisqu'il se représente dans ce qui est la posture très particulière d'un sculpteur arrêté dans la nature près d'un ruisseau, rêvant peut-être à la représentation qu'il donnera d'un être humain dont il prend déjà la pose. Une sorte de maniérisme égaré dans la réalité dont il fait sa matière. Et le jeu du visage qui s'apparente à l'expression d'une face transfigurée rajoute pleinement à l'expression du corps pour faire de ce sculpteur un être ravi au monde, transformé lui-même par les sujets traités dont il s'est rendu maître. Une sorte d'ironie, de «plaisanterie au sens très profond».

Gustave Courbet - Le sculpteur  - 1844


jeudi 18 février 2016

Portrait de René

Jacques-Emile Blanche - René Crevel (s.d., ca 1920)
« René Crevel n'avait pas tous les défauts, mais il avait toutes les qualités. Même la beauté.»
Paul Eluard

mardi 16 février 2016

L'invention d'Antinoüs

Découverte de la statue d'Antinoüs au temple d'Apollon à Delphes le 13 juillet 1894

dimanche 14 février 2016

Il pugilatore

Il pugilatore in riposo - IVe s. BC, attribué à Lysippe
Ce visage extraordinaire en bronze, dont aucun détail n'a été oublié, jusqu'aux plus infimes cicatrices, est un bronze grec découvert en 1885 dans le quartier romain du Quirinale. Il est conservé au Museo Nazionale Romano.

vendredi 12 février 2016

Caravaggio

Le Caravage, vu par Milo Manara. On pourrait être mieux inspiré pour un auteur de bande dessinée qui a déjà une longue expérience derrière lui...




mercredi 10 février 2016

Danilo Donati

Danilo Donati (1926-2001) fut un immense créateur, écrivain, décorateur, costumier pour les plus grands cinéastes italiens parmi lesquels Luchino Visconti, Mario Monicelli, Pier Paolo Pasolini, et entre autres, et non des moindres, Federico Fellini.
Une exposition présentée à Rome l'an dernier exposait les costumes qu'il avait créés pour tous ces cinéastes, montrant la dimension étonnante des images qu'il avait réussi à transformer en costumes dont on perçoit dans chacun l'aspect baroque.
Voici l'un des costumes créés pour Federico Fellini dans Roma (1972), qui n'est pas le plus extravagant, mais donne une idée du délire créatif qu'il a su mettre en oeuvre pour le défilé ecclésiastique du film.
A la suite, une vidéo que je n'ai trouvée qu'en version espagnole. Mais après tout, l'espagnol donne un relief tout aussi intéressant, et, à peu de choses près, on pourrait croire que Pedro Almodovar aurait pu y apporter sa touche, quelques bonnes années auparavant.



lundi 8 février 2016

Palmyre

Paul Veyne, grand historien de l'Antiquité et historiographe, a publié au mois de novembre dernier un très beau livre intitulé Palmyre. Plus qu'un livre d'histoire, c'est une réflexion sur notre rapport au témoignage du passé, ce qu'en France nous appelons «patrimoine» et que les Anglais dénomment «cultural heritage». Il ramène ses lecteurs à cette période de l'Antiquité où déjà le passé se faisait lisible dans cette cité, où déjà existait une «antiquité dans l'Antiquité», lorsque Palmyre était ce carrefour de
Herbert Schmalz - Queen Zenobia's Last Look Upon Palmyra  (s.d.)
cultures, de périodes déjà achevées qu'il était loisible de comprendre, de centres commerciaux où se retrouvaient les caravanes, apportant, emportant, et où chacun pouvait honorer son dieu ou ne rien faire de tel. Palmyre dont la reine Zénobie s'essaya, vainement,  à revendiquer la place d'empereur romain et disparut après le triomphe d'Aurélien. On lira avec bonheur l'ouvrage de Paul Veyne, qu'il sous-titre L'irremplaçable trésor.
Et cependant je reste distant face à ces vandalismes imbéciles. Si la perte, sans doute irréparable, des éléments d'architecture de la cité, est affligeante, combien plus l'est la disparition, causée par les néo-islamistes qui ont renouvelé les principes de cruauté, de Khaled al-Assaad, directeur des Antiquités de la cité jusque là conservée. On lira sur Wikipédia la biographie de cet homme remarquable, qu'il faut pleurer davantage que les pierres effondrées. Car l'intérêt du patrimoine que l'on conserve des générations antérieures n'est pas de contempler béatement ce qui fut construit voici si longtemps. Non, la vertu de s'intéresser au patrimoine comme à notre environnement en général, c'est de former et de produire des hommes comme Khaled al-Assaad, dont la longue expérience, l'érudition, la capacité de lire au-delà de l'apparence des choses sont autant de camouflets pour les thanatophores assoiffés de violence qui ne savent que mépriser quelque texte de réflexion que ce soit.
Au Japon, on appelle «trésor vivant» les personnes chargées de conserver les éléments qui ont produit la civilisation. L'UNESCO a repris cette appellation sous la forme «trésor humain vivant», qui concerne ceux qui pratiquent et maîtrisent un art au plus haut degré, mais également ceux qui ont accumulé des savoirs, une mémoire qui appartiennent à l'humanité tout entière.
La vertu de Palmyre était d'avoir formé ces savants ; en retour, le regard sur la cité en était amplifié, prenait un relief et une perspective qui transformaient les siècles en une mémoire vivante à laquelle chacun pouvait participer. La relation de l'homme au témoignage de pierre était cet ensemble que, très inconsciemment sans doute, les bourreaux du Proche-Orient craignaient dans leur immense lâcheté.
Khaled al-Assaad fut ainsi bien impuissant à défendre sa cité : il donne à la postérité une magnifique leçon de dignité. Ce qui manque sans doute le plus à notre temps actuel.
Paul Veyne conclut son ouvrage ainsi : «[...]Ne vouloir connaître qu'une seule culture, la sienne, c'est se condamner à vivre sous un éteignoir.»




samedi 6 février 2016

François Schuiten - L'archiviste

Une couverture, une loupe, une paire de lunettes, et la certitude qu'il y aurait là, quelque part, un moyen de ne pas périr sous l'ensevelissement des ignominies...

François Schuiten - L'archiviste  - 1987

jeudi 4 février 2016

mercredi 3 février 2016

The sluggard/Le paresseux

Où nous célèbrerons le droit à la paresse !

Frederic Leighton - The sluggard - 1885

vendredi 29 janvier 2016

Looking for Rowley's poetry


In April 1770, Chatterton left for London, determined to make it on his own merits as a writer. But four months later, on August 24, 1770, unable to find any work, without money, and near starvation, he penned a farewell poem: "Have mercy, Heaven! when here I cease to live / And this last act of wretchedness forgive." He then poisoned himself with arsenic. He was only seventeen years old.
On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans...
 
Henry Wallis, La Mort de Chatterton, 1856

mardi 26 janvier 2016