lundi 23 mars 2020

Clément Porre

J'ai essayé de créer une page sur Wikipédia. Bien mal m'en a pris : à peine la page mise en ligne qu'un geek furibard, apparemment plus soucieux de faire du chiffre dans la police des pages de l'encyclopédie (ça doit lui rapporter des bons points à la fin de l'année) m'a supprimé la page en question. A-t-il lu seulement le contenu ? Ce genre d'hystérique du bit wikipédien, « actuellement indisponible pour cause de coronavirus », dit-il sur la page qui lui sert de contact, est plus pressé de vérifier que la structure formelle de la page est conforme à ce qu'attendent les normatifs de l'encyclopédie. Baste ! S'il faut passer davantage de temps dans les menus imbriqués, les termes codés et l'ensemble de cette petite cuisine qu'à rechercher les éléments du contenu, mieux vaut encore s'abstenir. On continuera donc encore à lire sur l'encyclopédie un certain nombre de poncifs, de pages autoproduites (j'en connais) et autres approximations. Heureusement, il existe également des pages de qualité. Elles sont plus rares.
Quant à la page sur Clément Porre, j'ignore ce qu'en fera Wikipédia.

Et comme je voulais évoquer la vie de Clément Porre, je la présente ici dans ce blog.  Succinctement, car je n'en sais pas davantage, mais en toute liberté, ce qui devient rare également.

Clément Porre (vers 1985 ?)





Clément Porre né à Lyon le 27 avril 1955, et mort dans cette même ville le 16 mars 1991, est un poète français épistolier.

On sait peu de choses de sa famille, de ses parents.

Clément est étudiant, à Lyon lorsque un événement inconnu, une situation inexpliquée, en 1980, le fait s'enfuir à Mulhouse où il est retrouvé dans un état second.

Hospitalisé, il est soigné, puis interné à l'Hôpital Saint-Jean de Dieu, à Lyon. Il y reste onze ans. Il décède subitement le 16 mars 1991, à l'âge de trente-cinq ans d'une cause inconnue. Il laisse une œuvre composée d'environ huit cents lettres, adressées à l'écrivaine publique « éveilleuse d'écriture » Michèle Dalmasso-Reverbel, ainsi que de dessins à la plume dont il ornait souvent ses lettres.

C'est au cours d'un atelier d'écriture intitulé « Tache d'Encre » qu'elle anime à l'Hôpital Saint-Jean de Dieu que Michèle Reverbel rencontre Clément Porre. Les premières participations de Clément à cet atelier sont des dessins non figuratifs qui peuvent être rattachés à la définition de l'Art brut tel que conçu par Jean Dubuffet. Les dessins portent en soi les prémisses d'un travail d'écriture qu'on devine à travers la forme des traits de plumes qui sont déjà une graphie de cursives, rythmées et scandées par le tracé. Encouragé à poursuivre ce travail, l'écriture réelle de Clément Porre émerge pour le lectorat singulier qu'est devenue l'écrivaine publique.

Page de couverture des Lettres à Michèle Reverbel

Un contrat moral s'établit entre Clément Porre et Michèle Reverbel : il sait qu'il a une destinataire à qui envoyer les lignes qu'il écrit, et Michèle s'engage à conserver les lettres qu’elle reçoit. De 1988 à 1991, environ huit cents lettres sont écrites au travers desquelles se dégage une écriture talentueuse d'une poésie forte, lancinante, qui décrit le quotidien d'un interné en service psychiatrique, son quotidien répétitif et sans horizon, où seul le travail de l'esprit et de l'écriture peuvent constituer un rempart contre l'adversité du système psychiatrique et de la camisole chimique.
En 1989, Michèle Reverbel fait lire la correspondance de Clément Porre au poète-éditeur Henri Poncet qui a créé en 1986 les Editions Comp'Act dans l'Ain. Sans hésiter, Henri Poncet décide d'éditer la correspondance de Clément Porre, et charge Michèle Reverbel d'en établir un choix de cent lettres. L'ouvrage est publié en 1992, après le décès de Clément Porre.



Lettres à Michèle Reverbel est alors publié en 1992 aux Editions Comp'Act dans la collection « Morari ».

La correspondance de Clément Porre est manuscrite. Les lettres ont été dactylographiées telles qu'elles ont été écrites. Il y a peu de fautes d'orthographe, mais l'une d'elles est récurrente: « sollitude » qui indique qu'un autre terme inconscient lui est associé : « sollicitude ».

« Villefranche, le 23 septembre 88

Madame,
Je vous écrit [sic] le dos au mur, l'âme boursouflée par des tempêtes acides et incessantes, l'esprit déjà tourné ailleurs vers cette profusion du soleil qui se lève à l'écriture toujours blanche des pages à faire, et le temps passé comme la pluie qui coupe les mains et lave l’œil [...] »
Fac-similé de la première lettre


Incontestablement, l'écriture de Clément Porre évoque celle d'Antonin Artaud, notamment dans le Pèse-nerfs, ou les Écrits de Rodez. En novembre 1990, Clément Porre réagit, peut-être grâce à sa faculté d'écrire qui lui a donné le moyen de ressaisir le réel, contre le système psychiatrique qu'il n'accepte plus :

« Lyon, le dimanche soir, 03/11/90

Madame,

Une vaste opération menée contre moi consiste à me faire passer pour un malade. Je lutterai de cette manière contre cette saloperie de neuroleptique, contre les soins, et j'établirai une sorte de promotion de la maladie sur la santé. Je n'en crois rien, mais il est dégradant de s'entendre dire qu'on ne possède pas toute sa raison. Malgré mes efforts de médiation il apparaît que ces 11 ans d'hôpital psychiatrique sont la preuve de mon aliénation alors qu'il ne s'agit purement que d'un problème social, logement, travail et engrenage [...]. »

«  Jeudi, 8 novembre 1990

Michèle,

Le soleil est froid ; le monde est glacial, il fait froid et l 'heure du sommeil est grave. 1 h du matin. Le service dort. Le soleil est vide, la nuit fraîche, calme, inerte. Quelques lumières des services voisins percent l'obscurité. Les arcades sont solitaires, les arbres sont solitaires, étroits, passagers. Quelques familles restent encore attachées aux mâtures. L'herbe est rare, folle, nue. La fumée des cigarettes monte dans la chambre ; le café tiède chauffe et réveille. 1 h du matin. Mon heure. Libéré de l'empreinte des médicaments, je retrouve un peu de ma lucidité, de ces idées jaillissantes et folles qui me parcourent l'esprit [...]. »


La correspondance, une fois publiée, fut lue par Christian Bobin. «  C'est comme un panier de fraises, je ne peux pas y toucher » aurait-il dit (information orale de Michèle Dalmasso-Reverbel).


Références:

Pages disponibles sur Gallica :

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3336706w.texteImage


Je vous regarde écrire. Un portrait de Michèle Reverbel, 2015, vidéogramme (52') de la série "La collection des regards" réalisé par Jacques Alain Raynaud, Scope 2 Production avec la participation du Musée de La Poste.