vendredi 15 janvier 2021

Le dormeur définitif de Charleville

     Le grand ordonnateur des décisions réversibles a tranché : Arthur Rimbaud et Paul Verlaine n'iront pas au Panthéon. Ouf ! Que diable, par ailleurs, seraient-ils allés faire dans cette galère, dans ce bâtiment sinistre, humide et poussiéreux, où les grands hommes dont la France a besoin pour refaire son maquillage des grandes vertus qu'elle a perdues dans les massacres coloniaux se retrouvent ossifiés, abandonnés à jamais ? Je pense parfois à Jean Moulin, qui méritait définitivement mieux que le discours chevrotant, à la lyrique surannée d'André Malraux. Malraux eut ses jeunes fulgurances, puis ses immenses douleurs, ses addictions aux substances qui n'aident pas l'esprit. Sa position quant à la Cinémathèque et à Henri Langlois est gravée dans l'histoire : il versa définitivement dans le goût du pouvoir et des institutions de l'ordre éternel.

     On lit que tous les anciens ministres de la Culture avaient signé la pétition que Frédéric Martel, faux trublion de la pensée décalée, avait lancée il y a quelques mois. J'y avais même vu, accompagnant la pétition, cette photographie résolument imbécile qui est un montage à partir d'une photo nord-américaine montrant Arthur Rimbaud et Paul Verlaine se tenant par les épaules. Il n'y a bien que les imbéciles qui ont pu, un instant croire cette photographie authentique : il n'existe pas de photographie où l'on voit ensemble Paul Verlaine et Arthur Rimbaud.

    Pour autant, la décision de l'intellectuel gérontophile de l'Elysée ne verse pas dans la justification de la bonne raison : « Je ne souhaite pas aller à l’encontre de la volonté manifestée par la famille du défunt. La dépouille d’Arthur Rimbaud ne sera pas déplacée ».

     On reconnaît bien là le jeune coq : ne pas déplaire à la famille. On imagine ce qu'Arthur, au plus fort de la pensée aiguë avec laquelle il regardait le monde, aurait pu dire à ce sujet. La famille ! Une arrière-petite-nièce, autant dire rien, et n'ayant pas plus de légitimité que la propre sœur d'Arthur, Isabelle qui alla jusqu'à avoir un cancer du genou pour mieux épouser la réhabilitation catholique de son frère sanctifié. Famille qui vampirisa la mémoire d'Arthur, au point qu'on ne laissa longtemps publier que ses œuvres classiques, celles des toutes premières années de poète : elles permettent de comprendre le travail de bouillonnement qui a été à l'œuvre, quelles fractures ont été nécessaires pour excréter les derniers poèmes. Bien évidemment, si l'Album zutique conserve une nature potache - il s'agit de railler notamment les Parnassiens dont le sérieux poétique était déjà, en son temps, ridicule - la période de la Commune de Paris introduit la scatologie comme outil de la dérision du pouvoir et des institutions établies. Arthur Rimbaud, assagi par la réalité de l'exotisme, de l'économie quotidienne, laisse en arrière-plan la forme de la jeunesse de ses dix-sept ans. Il ne revient pas pour autant aux formes normatives que la société du XIXe siècle exalte dans la colonisation, dans l'accumulation capitaliste.

Lavage des pieds au Choas - Photographie attribuée à Arthur Rimbaud


     Il paraît qu'il existe une association des amis d'Arthur Rimbaud. Selon Le Monde, ils rejoindraient l'opinion de la "famille" d'Arthur Rimbaud, notant que ce dernier n'avait pas toute sa vie été homosexuel, et qu'à la fin de sa vie, il partageait des moments avec une femme. Nous voici rassurés quant à la résolution de normalité du poète : ses frasques érotiques n'auront duré que deux ou trois ans avec Paul Verlaine puis Germain Nouveau. Pour le reste, on imagine ce qu'il reste de solitude, de moments de rares socialités au cours des voyages, et le grappin infernal de la famille pourvoyeuse de la sale sécurité pécuniaire.

     Mais ce n'est pas au nom de cette prétendue normativité contre une entrée au Panthéon pour cause d'homosexualité poétique notoire qu'il fallait refuser ce projet, mais parce que la poésie n'a rien à voir avec un quelconque panthéon - on se rappelle qu'il s'agit du lieu, dans une évocation antique, où se retrouvent tous les dieux - et il n'y a que quelques poètes russes ou les Aragon célébrant la police politique pour trouver une place au Panthéon - oui ! mettons Aragon au Panthéon, lui qui aima aussi quelques jeunes garçons - et encore moins lorsque l'on sait que le Panthéon est l'ancienne église destinée à la châsse de sainte Geneviève. Le Panthéon, caricature à la sauce nationaliste du Panthéon de Rome !

     Bien malgré lui, l'arrogant du faubourg Saint-Honoré a rendu la seule décision sage qu'il convenait. De plus, il aurait été compliqué de retrouver la jambe gauche manquante d'Arthur. Et la bite molle de Verlaine.


1 commentaire:

  1. Merci de m'avoir fait connaître Germain Nouveau. Cordialement.

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