Le grand ordonnateur des décisions réversibles a tranché :
Arthur Rimbaud et Paul Verlaine n'iront pas au Panthéon. Ouf ! Que diable, par
ailleurs, seraient-ils allés faire dans cette galère, dans ce bâtiment
sinistre, humide et poussiéreux, où les grands hommes dont la France a besoin
pour refaire son maquillage des grandes vertus qu'elle a perdues dans les
massacres coloniaux se retrouvent ossifiés, abandonnés à jamais ? Je pense
parfois à Jean Moulin, qui méritait définitivement mieux que le discours
chevrotant, à la lyrique surannée d'André Malraux. Malraux eut ses jeunes
fulgurances, puis ses immenses douleurs, ses addictions aux substances qui
n'aident pas l'esprit. Sa position quant à la Cinémathèque et à Henri Langlois
est gravée dans l'histoire : il versa définitivement dans le goût du pouvoir et
des institutions de l'ordre éternel.
On lit que tous les anciens ministres de la Culture avaient
signé la pétition que Frédéric Martel, faux trublion de la pensée décalée,
avait lancée il y a quelques mois. J'y avais même vu, accompagnant la pétition,
cette photographie résolument imbécile qui est un montage à partir d'une photo
nord-américaine montrant Arthur Rimbaud et Paul Verlaine se tenant par les
épaules. Il n'y a bien que les imbéciles qui ont pu, un instant croire cette
photographie authentique : il n'existe pas de photographie où l'on voit ensemble Paul Verlaine et Arthur Rimbaud.
Pour autant, la décision de l'intellectuel gérontophile de
l'Elysée ne verse pas dans la justification de la bonne raison : « Je ne
souhaite pas aller à l’encontre de la volonté manifestée par la famille du
défunt. La dépouille d’Arthur Rimbaud ne sera pas déplacée ».
On reconnaît bien là le jeune coq : ne pas déplaire à la
famille. On imagine ce qu'Arthur, au plus fort de la pensée aiguë avec laquelle
il regardait le monde, aurait pu dire à ce sujet. La famille ! Une
arrière-petite-nièce, autant dire rien, et n'ayant pas plus de légitimité que
la propre sœur d'Arthur, Isabelle qui alla jusqu'à avoir un cancer du genou
pour mieux épouser la réhabilitation catholique de son frère sanctifié. Famille
qui vampirisa la mémoire d'Arthur, au point qu'on ne laissa longtemps publier
que ses œuvres classiques, celles des toutes premières années de poète : elles
permettent de comprendre le travail de bouillonnement qui a été à l'œuvre,
quelles fractures ont été nécessaires pour excréter les derniers poèmes. Bien
évidemment, si l'Album zutique conserve une nature potache - il s'agit de
railler notamment les Parnassiens dont le sérieux poétique était déjà, en son
temps, ridicule - la période de la Commune de Paris introduit la scatologie
comme outil de la dérision du pouvoir et des institutions établies. Arthur
Rimbaud, assagi par la réalité de l'exotisme, de l'économie quotidienne, laisse
en arrière-plan la forme de la jeunesse de ses dix-sept ans. Il ne revient pas
pour autant aux formes normatives que la société du XIXe siècle exalte dans la
colonisation, dans l'accumulation capitaliste.
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Lavage des pieds au Choas - Photographie attribuée à Arthur Rimbaud |
Il paraît qu'il existe une association des amis d'Arthur
Rimbaud. Selon Le Monde, ils rejoindraient l'opinion de la "famille"
d'Arthur Rimbaud, notant que ce dernier n'avait pas toute sa vie été
homosexuel, et qu'à la fin de sa vie, il partageait des moments avec une femme.
Nous voici rassurés quant à la résolution de normalité du poète : ses frasques
érotiques n'auront duré que deux ou trois ans avec Paul Verlaine puis Germain
Nouveau. Pour le reste, on imagine ce qu'il reste de solitude, de moments de
rares socialités au cours des voyages, et le grappin infernal de la famille
pourvoyeuse de la sale sécurité pécuniaire.
Mais ce n'est pas au nom de cette prétendue normativité
contre une entrée au Panthéon pour cause d'homosexualité poétique notoire qu'il
fallait refuser ce projet, mais parce que la poésie n'a rien à voir avec un
quelconque panthéon - on se rappelle qu'il s'agit du lieu, dans une évocation
antique, où se retrouvent tous les dieux - et il n'y a que quelques poètes
russes ou les Aragon célébrant la police politique pour trouver une place au
Panthéon - oui ! mettons Aragon au Panthéon, lui qui aima aussi quelques jeunes
garçons - et encore moins lorsque l'on sait que le Panthéon est l'ancienne
église destinée à la châsse de sainte Geneviève. Le Panthéon, caricature à la
sauce nationaliste du Panthéon de Rome !
Bien malgré lui, l'arrogant du faubourg Saint-Honoré a rendu
la seule décision sage qu'il convenait. De plus, il aurait été compliqué de
retrouver la jambe gauche manquante d'Arthur. Et la bite molle de Verlaine.
Merci de m'avoir fait connaître Germain Nouveau. Cordialement.
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