lundi 8 février 2016

Palmyre

Paul Veyne, grand historien de l'Antiquité et historiographe, a publié au mois de novembre dernier un très beau livre intitulé Palmyre. Plus qu'un livre d'histoire, c'est une réflexion sur notre rapport au témoignage du passé, ce qu'en France nous appelons «patrimoine» et que les Anglais dénomment «cultural heritage». Il ramène ses lecteurs à cette période de l'Antiquité où déjà le passé se faisait lisible dans cette cité, où déjà existait une «antiquité dans l'Antiquité», lorsque Palmyre était ce carrefour de
Herbert Schmalz - Queen Zenobia's Last Look Upon Palmyra  (s.d.)
cultures, de périodes déjà achevées qu'il était loisible de comprendre, de centres commerciaux où se retrouvaient les caravanes, apportant, emportant, et où chacun pouvait honorer son dieu ou ne rien faire de tel. Palmyre dont la reine Zénobie s'essaya, vainement,  à revendiquer la place d'empereur romain et disparut après le triomphe d'Aurélien. On lira avec bonheur l'ouvrage de Paul Veyne, qu'il sous-titre L'irremplaçable trésor.
Et cependant je reste distant face à ces vandalismes imbéciles. Si la perte, sans doute irréparable, des éléments d'architecture de la cité, est affligeante, combien plus l'est la disparition, causée par les néo-islamistes qui ont renouvelé les principes de cruauté, de Khaled al-Assaad, directeur des Antiquités de la cité jusque là conservée. On lira sur Wikipédia la biographie de cet homme remarquable, qu'il faut pleurer davantage que les pierres effondrées. Car l'intérêt du patrimoine que l'on conserve des générations antérieures n'est pas de contempler béatement ce qui fut construit voici si longtemps. Non, la vertu de s'intéresser au patrimoine comme à notre environnement en général, c'est de former et de produire des hommes comme Khaled al-Assaad, dont la longue expérience, l'érudition, la capacité de lire au-delà de l'apparence des choses sont autant de camouflets pour les thanatophores assoiffés de violence qui ne savent que mépriser quelque texte de réflexion que ce soit.
Au Japon, on appelle «trésor vivant» les personnes chargées de conserver les éléments qui ont produit la civilisation. L'UNESCO a repris cette appellation sous la forme «trésor humain vivant», qui concerne ceux qui pratiquent et maîtrisent un art au plus haut degré, mais également ceux qui ont accumulé des savoirs, une mémoire qui appartiennent à l'humanité tout entière.
La vertu de Palmyre était d'avoir formé ces savants ; en retour, le regard sur la cité en était amplifié, prenait un relief et une perspective qui transformaient les siècles en une mémoire vivante à laquelle chacun pouvait participer. La relation de l'homme au témoignage de pierre était cet ensemble que, très inconsciemment sans doute, les bourreaux du Proche-Orient craignaient dans leur immense lâcheté.
Khaled al-Assaad fut ainsi bien impuissant à défendre sa cité : il donne à la postérité une magnifique leçon de dignité. Ce qui manque sans doute le plus à notre temps actuel.
Paul Veyne conclut son ouvrage ainsi : «[...]Ne vouloir connaître qu'une seule culture, la sienne, c'est se condamner à vivre sous un éteignoir.»




2 commentaires:

  1. ouille ! ouille ! ouille ! celeos, que m'entretiens-tu de tels discours ? je suis déjà tellement perdu dans mon fin fond breton pour découvrir d'autres êtres sur cette longueur d'onde... bien sûr, les livres pallient l'absence d'échanges oraux, mais...
    enfin, encore un bouquin dont je vais me régaler.
    j'avoue qu'erwan et moi-même sommes désespérés de constater le peu de cas que font la plupart des gens face à de tels événements dont tu parles. la vie est si belle quand nous ne comprenons pas que l'on puisse passer à côté.

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